Dans un arrêt du 29 février qui figurera au rapport annuel, la Cour de cassation fixe les modalités d’appréciation des différents critères légaux auxquels est subordonnée la représentativité syndicale en entreprise. Elle se prononce par ailleurs sur les modalités de preuve de la transparence financière des syndicats, en l’absence de présentation des documents comptables légalement obligatoires.
La représentativité des syndicats au niveau de l’entreprise est évaluée à partir de plusieurs critères cumulatifs énumérés par l’article L. 2121-1 du Code du travail :
– le respect des valeurs républicaines ;
– l’indépendance ;
– la transparence financière ;
– l’ancienneté d’au moins deux ans dans le champ professionnel et géographique couvrant le niveau de négociation ;
– l’audience électorale d’au moins 10 % ;
– l’influence prioritairement caractérisée par l’activité et l’expérience ;
– les effectifs d’adhérents et les cotisations.
Tous ces critères doivent-ils être placés sur un même pied d’égalité, auquel cas il faudrait admettre qu’un syndicat qui disposerait de l’ancienneté et de l’audience requises ne soit pas représentatif s’il ne justifie pas par ailleurs d’un effectif d’adhérents suffisants ? La Haute juridiction répond par la négative. Certes, tous ces critères doivent être remplis cumulativement. Néanmoins, certains s’apprécient de manière autonome (les trois premiers), d’autres de manière globale (les quatre autres).
Les juges du fond favorables à l’autonomie de chacun des critères
L’affaire concerne un syndicat CGT ayant obtenu 16,13 % des suffrages au premier tour des dernières élections des membres titulaires du comité d’entreprise. S’estimant représentatif, il avait alors désigné une salariée en tant que déléguée syndicale d’établissement et déléguée syndicale centrale.
Sur contestation de l’employeur, le tribunal d’instance a annulé ces désignations, au motif que la représentativité du syndicat n’était pas établie au sein de l’établissement, au regard :
– du critère de l’influence, prioritairement caractérisée par l’activité et l’expérience : le tribunal a retenu que les actions menées par le syndicat l’avaient été conjointement avec d’autres organisations syndicales et qu’elles intéressaient en outre tous les établissements et non spécifiquement l’établissement dans lequel il avait procédé à la désignation de la déléguée syndicale ;
– du critère tenant au nombre d’adhérents qui n’était que de trois pour 211 inscrits sur les listes électorales de l’établissement ;
– du critère de transparence financière : dès lors que les ressources du syndicat étaient comprises entre 2 000 et 230 000 €, ce dernier aurait dû établir, ainsi que l’exige l’article D. 2135-3 du Code du travail, non seulement un bilan et un compte de résultat mais encore une annexe simplifiée. Or cette annexe simplifiée n’avait pas été présentée au tribunal, ce qui l’avait amené à considérer que le critère de la transparence financière n’était pas rempli.
La chambre sociale de la Cour de cassation a annulé intégralement le jugement, faute pour le tribunal d’avoir suivi les modalités d’appréciation de la représentativité.
Modalités de combinaison des différents critères
Trois principes sont posés par la Haute juridiction :
– les critères posés par l’article L. 2121-1 du Code du travail « doivent être tous réunis pour établir la représentativité d’un syndicat ». Ce qui confirme, par exemple, que l’audience obtenue lors des élections n’est pas suffisante pour être représentatif ;
– les critères tenant au respect des valeurs républicaines, à l’indépendance et à latransparence financière « doivent être satisfaits de manière autonome ». Ces trois critères s’apprécient donc isolément, indépendamment les uns des autres. La représentativité d’un syndicat peut alors être remise en question dès lors que l’un seulement de ces critères n’est pas rempli ;
– les critères relatifs « à l’influence prioritairement caractérisée par l’activité et l’expérience, aux effectifs d’adhérents et aux cotisations, à l’ancienneté dès lors qu’elle est au moins égale à deux ans et à l’audience électorale dès lors qu’elle est au moins égale à 10 % des suffrages exprimés, doivent faire l’objet d’une appréciation globale ». Cela signifie que, dès lors que l’audience de 10 % et l’ancienneté de deux ans sont atteintes, l’insuffisance de l’un des autres critères peut être palliée par le respect d’un autre. La faiblesse du nombre d’adhérents peut donc être compensée par l’activité et l’expérience ou le niveau d’audience atteint.
La Haute juridiction tempère ainsi le caractère cumulatif exigé par la loi, en incitant le juge à effectuer une pondération entre certains des critères. Elle rejoint en cela la Position commune des partenaires sociaux du 9 avril 2008, aux termes de laquelle les critères « sont cumulatifs et s’apprécient dans un cadre global » (art. 1.2).
En l’espèce, la Haute juridiction a estimé que le critère de l’influence et celui afférent au nombre d’adhérents auraient dû « faire l’objet d’une appréciation globale avec l’ancienneté du syndicat, qui était au moins égale à deux ans, et avec l’audience électorale, qui était de 16,13 % ». Le tribunal d’instance aurait dû rechercher si le niveau d’audience et d’ancienneté ne compensait pas le faible nombre d’adhérents.
Preuve de la transparence financière par tous moyens
S’agissant de l’appréciation du critère autonome de la transparence financière, lequel est destiné à permettre aux syndicats de justifier de l’origine de leur financement, l’arrêt ajoute que « les documents comptables dont la loi impose la confection et la publication ne constituent que des éléments de preuve de la transparence financière, leur défaut pouvant dès lors être suppléé par d’autres documents produits par le syndicat et que le juge doit examiner ». Le défaut de production de l’annexe simplifiée prévue à l’article D. 2135-3 du Code du travail ne suffit donc pas à considérer que le critère de transparence n’est pas rempli. Ce document n’est pas unecondition de la transparence financière. Le juge doit se prononcer sur ce critère au vu de tout autre document produit par le syndicat, à savoir, ici, le bilan, le compte de résultat, les livres comptables mentionnant chronologiquement le montant et l’origine des ressources perçues et des dépenses effectuées depuis 2008, ainsi que l’ensemble des relevés bancaires.
Appréciation du critère d’influence
S’agissant du critère de l’influence prioritairement caractérisée par l’activité et l’expérience, la Haute juridiction précise que doivent être prises en compte toutes lesactions menées par le syndicat, y compris celles menées conjointement avec d’autres organisations. Pour la représentativité au niveau d’un établissement, toutes les actions intéressant ce dernier entrent en ligne de compte, même si elles ne lui étaient pas spécifiques et ont été déployées aussi dans les autres établissements de la société.